Crise sanitaire : des expatriés racontent leurs doutes pour 2020 et au-delà
Aux quatre coins du monde, les expatriés doivent revoir leurs plans pour les mois à venir en raison de la crise sanitaire. Dans les premières semaines, la question du retour en France s’est posée pour les Français de l’étranger. Tandis que d’autres, qui avaient projeté de partir vivre à l’étranger, ont dû repousser leurs plans sine die. C’est le cas de Stéphane, qui devait aller s’installer à Mexico City en tant que professeur de français, métier qu’il exerce déjà en Belgique.
“En raison de la situation, j’ai dû annuler mon voyage. Et je ne sais pas quand le départ sera possible”, raconte-t-il aujourd’hui.
Quant à Valentin, il devait quitter Bucarest pour Berlin, avant que les frontières ne soient fermées.
“C’est très dur psychologiquement de voir tous les avions annulés à la dernière minute. Alors que l’on pense qu’on pourra enfin partir. De plus, les pays sont très nationalistes dans leur approche, alors que le virus ne connaît pas les frontières”, expliquait il.
Avec la crise sanitaire, l’avenir : “Un flou total”
En dehors de la question des déplacements, la vie à l’étranger ajoute parfois de l’incertitude. Aussi bien pour des raisons économiques ou politiques. Miguel est un étudiant français installé au Mexique. Il se retrouve hébergé, pendant la crise sanitaire, par la famille de sa petite amie. Il déplore une désinformation locale au sujet de la pandémie, que les autorités locales ont d’abord beaucoup minimisée :
« Le président en appelle désormais à la foi. Du coup, ce qui règne ici, c’est l’incertitude. Même s’ils avaient prévu la fin du confinement pour fin mai, ça n’a jamais été un confinement obligatoire ni très respecté. Les chiffres sont contrôlés, et il n’y a eu aucun plan économique pendant et pour après. On ne sait pas ce qui va se passer, entre les gens qui n’y croient pas, les gens qui ont peur et les gens qui n’ont pas le choix et doivent aller travailler pour pouvoir vivre. On est un peu perdus au Mexique. Et le Mexique est aussi un peu perdu lui-même.”
Quel avenir professionnel ?
Outre la gestion locale de la crise, de nombreux Français s’inquiètent pour leur avenir professionnel. C’est notamment vrai pour tous ceux qui travaillent dans l’industrie du tourisme. Melissa habite à Bali depuis cinq ans. Et elle travaille en tant qu’instructrice de plongée dans un petit centre dans l’est de l’île. Pour elle, qui dépend totalement du tourisme, “l’avenir est un flou total”.
Caroline, confinée au Laos, partage son sentiment :
« En Asie, nous, les expats en contrat local, n’avons ni sécurité sociale ni indemnités ou préavis quelconque à revendiquer. Beaucoup, comme les managers d’hôtel, les directeurs d’agence de voyages ou les restaurateurs, se retrouvent livrés à eux-mêmes pour un temps indéterminé. Sur le long terme, difficile de se projeter lorsque vous êtes en expatriation en Asie. Et dans le secteur touristique en plus. J’ai la naïveté d’espérer que cette pandémie mondiale inédite remettra quelques préoccupations écologiques – production de masse, mondialisation outrancière – au cœur des débats et favorisera la prise de conscience collective pour une société de décroissance. Sans cela, l’avenir sera morose. Et la multiplication des Covid version 20, 25 et 45 seront de mise pour les générations futures.”
Après la crise sanitaire, un grand saut dans le vide
Pour Arnaud, pas question de laisser tomber les projets de vie à l’étranger. Il est étudiant au doctorat en cotutelle internationale entre les universités de Nantes et de Montréal. Après une première année de thèse passée en France, il devait rejoindre le Canada en août pour y passer deux ans et envisageait de s’y installer définitivement. Ayant la chance de disposer d’un permis d’études édité avant la fermeture des frontières, les restrictions d’entrée sur le territoire canadien n’ont pas concerné Arnaud. Il a donc décidé de partir :
« Comme mes activités de recherche et d’enseignement ont été suspendues pour une durée indéterminée en France, je pars en fait à la toute fin du mois de mai. Je vais donc m’installer de manière anticipée, me soumettre à la quatorzaine obligatoire à l’arrivée. Et j’espère ainsi ne pas perdre trop de temps dans l’hypothèse où je pourrais reprendre le travail au Canada. La période précédente était très difficile à gérer : ai-je le droit de partir ? Si oui, comment ? Quels documents rassembler ? Comment laisser son appartement pour trouver un nouveau logement ? Comment mettre en place un plan de quarantaine ? Enfin, comment assurer sa couverture santé ? Dans ces circonstances, s’expatrier prend l’allure d’un grand saut dans le vide… D’autant plus qu’une fois la frontière franchie l’on dispose de bien moins de souplesse qu’auparavant pour revenir en France si besoin.”
Quitter la France coûte que coûte
Tous les futurs expats ne partagent pas les doutes d’Arnaud. Certains, au contraire, ont la certitude que le départ est un choix qui s’impose. Lucie, par exemple, n’a aucune hésitation, et la crise sanitaire n’a fait que renforcer sa détermination. Elle termine son doctorat en sciences sociales et pense trouver plus de débouchés professionnels hors de France “au vu du manque de moyens dans l’enseignement supérieur et la recherche, du manque d’investissements, de la précarisation qui explose (notamment avec la crise sanitaire) des étudiant.e.s et du personnel de l’université (notamment des vacataires)”.
Selon elle, la France offre des conditions de travail insoutenables dans son secteur. Elle postule donc depuis deux mois auprès des Nations unies, d’ONG et de bureaux d’études dans l’humanitaire et le développement situés à l’étranger. Elle espère y trouver un travail dans lequel on la traite mieux. C’est à dire : estime des travailleurs, salaire, moyens pour travailler, etc. Mais aussi plus stimulant (pour avoir davantage “prise” sur la réalité).
“Cette dernière année, confie-t-elle, j’ai pu échanger avec divers professionnels du secteur de l’humanitaire et du développement dans des structures variées. Le mot d’ordre est sans appel, il n’y a rien à attendre en France. Mieux vaut aller voir ailleurs !”
Et puis il y a ceux que la crise sanitaire fait relativiser…
Léo est expatrié au Vanuatu depuis octobre 2019 dans le cadre d’un volontariat international en entreprise (VIE). Il n’y a pas eu de cas de Covid-19 sur place, mais le pays a fermé ses frontières. Aussi, les liaisons inter îles suspendues un temps et un couvre-feu instauré de 21 heures à 5 heures du matin. Impossible aussi de rentrer auprès de sa famille en métropole, à 16 000 kilomètres de là. Heureusement, Léo s’épanouit dans son travail et peut continuer à exercer son métier.
“Et puis, souligne-t-il, être bloqué sur une île paradisiaque avec un travail prenant et des amis à voir tous les jours, cela pourrait être pire ». Nous ne le contredirons pas.