Expatrié en Norvège, j’ai pris cinq mois de congé paternité, voici ce que ça a changé
Français expatrié en Norvège, Tristan Champion a découvert à la naissance de sa fille un système de congé paternité bien différent du nôtre. Rapport au travail, lien avec ses enfants, égalité hommes femmes… Dans le livre La Barbe et le biberon, cet expatrié en Norvège raconte avec auto dérision et engagement comment cette expérience l’a changé. Entretien.
Vous veniez d’être expatrié en Norvège quand votre femme est tombée enceinte de votre deuxième enfant. Vous avez alors découvert le système norvégien de congé paternité. Comment fonctionne-t-il ?
Le système norvégien permet aux parents de prendre jusqu’à dix mois de congé au total. C’est à dire trois mois chacun pour la mère et pour le père. Puis quatre mois supplémentaires à se répartir entre les deux parents. Ce qui est à la fois très égalitaire et flexible.
Ce qui est singulier, c’est qu’il repose sur le modèle de l’alternance. On n’est pas ensemble pour s’occuper de l’enfant. Ma femme s’est ainsi occupée de notre fille, Nora, durant les cinq mois qui ont suivi sa naissance. Puis je m’en suis chargé pendant les cinq mois suivants.
Avec ce système, le père n’est plus un simple copilote qui serait là pour aider la mère à s’occuper de l’enfant. Et ça, ça change tout. Notamment les mentalités : puisque c’est la norme. Les jeunes adultes norvégiens vont beaucoup plus s’intéresser à la parentalité, sachant qu’ils passeront par cette période ensuite. Il y a aussi davantage d’hommes travaillant dans les secteurs de la petite enfance.
Pourtant, vous n’étiez pas enthousiaste de prime abord. C’est votre femme qui vous y a poussé…
J’étais assez sceptique car j’adore mes enfants et je suis très content de pouvoir passer du temps avec eu. Mais ce n’était pas forcément dans mon modèle. Lorsqu’ils sont en bas âge, il y a moins d’interactions, je craignais que ce soit une période ennuyeuse. J’avais aussi peur que cela me fasse prendre des risques professionnellement, en me pénalisant dans l’entreprise.
Ça a été le cas ?
La malchance a fait que j’ai dû annoncer à ma cheffe que je prenais mon congé paternité au même moment où un poste de management se libérait. Ce qui pouvait être une opportunité pour ma carrière. Alors le jour où je suis allé dans son bureau, j’étais très inquiet. C’est là où le modèle norvégien fait traverser, sur certains points, les mêmes émotions aux hommes qu’aux femmes. Autrement dit, je n’aurais jamais pu prendre la mesure de ce qu’une femme pouvait vivre…
Finalement, je n’ai pas eu cette promotion. Mais je ne sais pas si ce congé paternité a joué un rôle ou non. Ce qui est sûr, c’est cette expérience a eu un impact sur moi. Récemment, j’ai dû recruter, dans mon service, et l’une des candidates était enceinte. Je l’ai choisie car c’était la meilleure. Mais je ne suis pas certain que j’aurais pris cette décision, et eu cette empathie, avant d’avoir vécu cette situation.
Au final, comment avez-vous vécu ces cinq mois ?
Étant donné que je tenais un blog en même temps pour raconter cette expérience, j’ai fait beaucoup d’activités, ce qui n’est sûrement pas représentatif des autres pères. Mais j’ai vraiment adoré cette expérience. Je me suis occupé de ma fille mais aussi de moi-même, de ma vie sociale, j’ai rencontré beaucoup d’autres pères avec des bébés… Ce qui était aussi possible car la ville où j’habite, Oslo, a pris de nombreuses initiatives pour favoriser les mises en contact. Et donc ainsi transformer un moment de solitude et d’ennui en un moment d’épanouissement social.
À vous entendre et à vous lire, on pourrait croire que ça a été rose tous les jours…
Non, ça n’était pas rose tous les jours, bien sûr. Mais je n’avais pas tant envie de parler des galères, car finalement tout le monde sait bien que c’est compliqué de s’occuper d’un enfant. Forcément, je me sentais débordé quand il n’y avait plus de couches de rechange, que la petite n’arrivait pas à dormir, qu’elle pleurait dans un café et que tout le monde nous regardait…
Ce n’était pas là où je voulais attirer l’œil du lecteur, même s’il ne faut pas minimiser ces difficultés que connaît chaque femme en congé maternité, ce qu’on a pu me reprocher.
Avec le recul, qu’est-ce que cette expérience a changé chez vous ?
Elle a complètement changé mon rapport au travail et à la famille. Désormais je suis intransigeant sur certaines choses. Par exemple je n’accepterai plus de partir tard du travail et de ne pas voir mes enfants. Je vois différemment ma paternité.
Ces mois vous ont permis de tisser un lien plus fort avec vos enfants. Comme cette fois où votre fille a réclamé vos bras après s’être fait mal et non ceux de sa mère…
Oui, ça, c’était un moment puissant. Même s’il faut aussi reconnaître qu’aujourd’hui c’est fini. En ce moment, on est confinés et c’est ma femme qui s’occupe toute la journée des enfants pendant que je travaille, donc on est un peu revenus en arrière. Mais beaucoup de moments que j’avais l’habitude de passer avec eux sont quand même restés. Cinq mois de congé paternité, ça ne suffit pas, tout dépend de ce qu’on en fait après.
Une fois de plus, c’est un système scandinave qui est érigé en modèle. Ce fonctionnement du congé parental norvégien ne connaît il pas de limites ?
Si, il y en a. Déjà, certaines personnes estiment que le modèle égalitaire est trop imposé. Alors qu’il ne correspond pas à certaines familles : quand le père est agriculteur ou d’une profession libérale, par exemple, et qu’il ne peut pas se permettre de prendre ses trois mois de congé. Or s’il ne les prend pas, ils sont perdus, la mère ne peut pas les récupérer.
Ensuite, cela reste compliqué pour les entreprises de composer avec l’absence de leurs salariés pendant une si longue période. Si bien que certaines trichent et proposent à leur salarié de doubler leur salaire durant cette période. De cette manière, leur conjoint peut poser un congé sans solde et s’occuper de l’enfant, ou alors cela prend en charge les frais d’une nounou.
À la fin de votre livre, vous appelez à repenser le congé paternité en France. Selon vous, ce modèle norvégien y serait-il transposable ?
Quand la Norvège a lancé ce modèle là, il n’y avait que 5 % des pères qui s’arrêtaient de travailler. Aujourd’hui, trente ans plus tard, il y en a 70 %. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il faut être patient. Cette vision n’a pas encore été développée en France. Alors décalquer demain le modèle norvégien, ce serait impossible. Cinq mois chacun, c’est trop long.
En revanche, des solutions intermédiaires sont possibles. Car le désir des hommes de s’arrêter plus longtemps pour s’occuper de leur enfant est bien là. Imaginons que, demain, on leur propose de ne plus prendre deux semaines mais deux mois. Peut-être qu’au début, ils vont tous se regarder en se disant : « Et toi, tu le prends ? », mais je suis convaincu qu’en cinq ans il y aurait 80 % des pères qui le feraient. Du point de vue des mentalités, la nouvelle génération est prête.
Expatrié en Norvège
Propos recueillis par Laura DANIEL auprès de cet expatrié en Norvège
Source: Ouest France